Interview / Serge Bertocchi

28 Sep 2018 | Coup de cœur | 0 commentaires

Au printemps dernier, les jeunes saxophonistes du Sax Collège Nouvelle-Aquitaine ont pu profiter des conseils de Serge Bertocchi lors des Master-classes organisées par le Conservatoire à Rayonnement Régional de Bordeaux en partenariat avec le Pôle Supérieur de Musique et de Danse. Musicien éclectique né à Albertville (Savoie), Serge Bertocchi est lauréat du CNSMDP (1° prix à l’unanimité de saxophone et de Musique de chambre) et de plusieurs concours Internationaux de saxophone. Soliste, chambriste et improvisateur, il joue et enregistre aussi en solo avec support ou ordinateur : en Europe, en Amérique du Nord, au Proche Orient et en Asie. Spécialiste reconnu du saxophone baryton depuis la fondation du quatuor Ars Gallica en 1985 puis de XASAX en 1991, il a adopté plus récemment les instruments extrêmes, rares ou oubliés de la famille des saxophones et les joue régulièrement : le Tubax, le soprillo, le ténor C-melody, le c-soprano et même le Mezzo-soprano en fa.

Quand et comment est née l’idée d’aller fouiller dans les archives des bibliothèques pour réaliser cette collection du Bicentenaire d’Adolphe Sax que vous avez édité aux éditions Cerbère? Quel a été votre « modus opérandi » ?
« L’idée » est née d’un besoin : effectivement, d’abord il s’agissait de retrouver des partitions puis de faire un travail que les musiciens baroques on fait pour les musiques baroques, c’est à dire, un travail « un peu » de recherche qui consiste à se poser la question « comment est-ce qu’à l’époque les musiciens jouaient cette musique là ? ». En tout cas j’ai essayé d’y répondre au plus près de ce qu’on peut déduire…
Donc, en effet, ça passe par une recherche qui est constituée de cette manière là : premièrement, on essaye de trouver des instruments d’époque ou des imitations modernes d’instruments d’époque ; la deuxième chose consiste à se préoccuper non pas seulement de l’instrument mais vraiment de tout le matériel : en l’occurrence, bec fermé d’époque, anche faible, embouchure en repliant les deux lèvres comme à la clarinette au XIX° siècle … enfin, les méthodes et traités d’époque pour comprendre comment on apprenait le saxophone à ce moment là, avec les conseils étranges qu’il y a sur ces méthodes là comme ceux de Mayeur qui conseille de “bien maintenir le bec sur le do grave pour faciliter l’émission” alors qu’il conseille “une embouchure très souple dans l’aigu”. Tout ceci ne fonctionne pas du tout sur les instruments modernes !

Quelle a été votre méthode de référence ?
Il n’y a pas 1000 méthodes : Cocken et Kastner sont les premières (1846 je crois) puis Mayeur, Klosé et Beeckmann. Kastner a écrit sur les différents saxophones… J’ai lu celle de Cocken et j’ai surtout travaillé celle de Mayeur. Mayeur, lui, il recommande de reposer les dents sur le bec. C’est une nouveauté en 1880 . Cela signifie que avant on ne le faisait pas. Il précise bien que “certains disent qu’il faut replier la lèvre supérieure, mais ce qui est bon pour la clarinette ne l’est point pour le saxophone”. Mais il y a des gens qui jouent en repliant les deux lèvres, dont Adolphe Sax. On le sait parce que dans la méthode de Kastner, il dit « Adolphe Sax recommande, dans l’aigu et pour obtenir plus de force,  de poser les dents sur le bec ». Cela veut dire quoi ? Cela signifie, en creux, que tout le reste du temps on ne met pas les dents sur le bec.
D’ailleurs il faut lire entre les lignes, car quand on le lit avec le prisme des yeux d’aujourd’hui on ne se pose plus la question : la lèvre est pliée en dessous et en haut ? Bah… Non. Après quand on essaye l’instrument on comprend pourquoi. (Démonstration en jouant) Il est beaucoup plus facile de jouer sur ce matériel là en repliant les deux lèvres même si ça faisait un petit peu mal au début… quand on n’a pas l’habitude.
Donc la première chose a été ça. Ensuite, trouver le répertoire…

Comment vous y êtes-vous pris pour cette tache qui semble aussi titanesque ?
La plupart étaient à la bibliothèque nationale. Il y en a qui traînent dans les bibliothèques des conservatoires, qui sont un peut fragiles au point qu’on ose même pas les emprunter. J’ai toujours entendu ce classique : « la musique pour saxophone du 19ème siècle et du début du siècle (dernier) c’est de mauvais gout ». Oui, c’est vrai que ce n’est pas du Wagner, ce n’est pas du Schumann, ce n’est même pas du Berlioz, on dira. Mais bon, on joue des tas de trucs qui sont quand même assez moches, quoi ! En tous cas je trouve qu’il y a beaucoup de choses qui sont écrites maintenant qui ne sont pas terribles non plus : personne ne nous oblige, ça c’est le début de notre répertoire… ! Tout jeter, c’est dommage. Alors, il ne faut pas se mettre à tous jouer cette musique tout le temps, on est d’accord. Ce serait absurde ! Il vaut mieux jouer Debussy quand même !… Mais complètement tout ignorer de cette musique là, c’est dommage. Et il faut le savoir : la musique de cirque est une musique qui a permis au saxophone de survivre. Le saxophone était mal barré quand même, au début de son histoire. La classe d’Adolphe Sax au conservatoire est fermée en 1870 ; il n’y a plus personne qui sache jouer très bien du saxophone… Adolphe Sax a formé des élèves et ils étaient tous super bons mais il a dû bien les pousser car ils étaient les meilleurs des classes de solfège et d’écriture du conservatoire de Paris. C’est pareil maintenant, n’est-ce pas ?

C’est vrai !! (rires des enfants)
A mon avis, il devait leur demander de vraiment bosser là-dessus. Pourquoi ? Pour devenir chefs de musiques. La plupart des élèves de Sax sont devenus des chefs de musique, donc ils n’ont plus joué ! Mais ils ont fait acheter des instruments pour leurs orchestres. C’était ça qui l’intéressait, lui. Mais du coup il y a eu beaucoup moins de musiciens formés en activité … et s’il est vrai que si les musiques militaires ont permis au saxophone de rester, il y a aussi une chose qu’on oublie souvent : c’est l’importance de la musique de cirque. Parce qu’il y a du saxophone dans la musique de cirque depuis les débuts du saxophone. Par exemple, dans deux ou trois des partitions que j’ai retrouvées de monsieur Pierre Bouillon, on reconnaît des choses qui sont encore jouées aujourd’hui dans ces orchestres.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour rassembler toutes ces partitions, les réadapter et les éditer ?
C’est difficile à dire. Cela dépend de quoi on parle. De rentrer la partition dans l’ordinateur puis en faire les corrections ?… Parce que le plus long c’est après avoir édité la musique : faire les corrections, les recherches … Il y a des erreurs dans les manuscrits originaux, il y a des fautes aussi que j’ai mis moi en plus, parce que chaque génération ajoute ses propres bêtises … Il faut donc corriger beaucoup de choses, trouver des renseignements sur les compositeurs, un minimum d’informations qu’on met en général au dos. Il faut ensuite apprendre à jouer les pièces, aussi ! Là je viens de prévoir ça et j’espère pouvoir mettre peut-être sur les plateformes des versions dans pas longtemps pour que les personnes intéressées par cette musique puissent entendre à quoi cela ressemble. C’est important pour savoir si on a envie ou pas de le faire.
Donc c’est un travail qui peux être très long… ça dépend quel est le but. Pour l’instant c’est loin d’être fini, car mon but est normalement de tout retrouver. J’en ai déjà réédité 30 (pièces) et il y m’en reste à peu près autant à faire !

Le temps nous est compté. Monsieur Bertocchi s’en va sur ces mots. Nous espérons sincèrement qu’il a eu son train car les 15 minutes qu’il pouvait accorder à nos questions ont été très largement dépassées. Eh oui ! Quand on aime… on ne compte pas ! Merci beaucoup pour votre disponibilité et votre dévouement, mais aussi et surtout pour la joie et la bonne humeur avec laquelle vous transmettez autant de passion et d’enthousiasme.

Le sax Collège Nouvelle Aquitaine.